À un moment autour de la fin des années 1970, certains ont été à l’origine de grands changements. Le compositeur minimaliste de génie, également performer, artiste et enfant terrible Julius Eastman, métamorphosait des titres poétiques tels que The Moon’s Silent Modulation (1970), Wood in Time (1972) en des titres plus radicalement politique à l’image de If You’re So Smart, Why Aren’t You Rich?(1977), Evil Nigger (1979), Gay Guerilla (ca. 1980), ou encore Crazy Nigger (ca. 1980). C’est à peu près à ce moment que les réflexions et considérations de Eastman sur sa propre identité et sa position dans la société en tant qu’entité politique, sociale ou économique se cristallisèrent dans le médium du son.
En ces jours de crise mondiale, le titre If You’re So Smart, Why Ain’t You Rich ? est d’une actualité déconcertante. Il reflète toujours les combats acharnés, les luttes de pouvoir et la contradiction entre le savoir et l’économie dans la société.
Avec évidence, cette formule montre l’incapacité à posséder à la fois la richesse et la connaissance en plaçant l’économie au plus haut de l’échelle comme ultime objectif, bien devant la connaissance.
If You’re So Smart, Why Ain’t You Rich ? est premièrement et avant tout un projet d’exposition qui rend hommage à l’artiste Julius Eastman qui n’a pas hésité à utiliser l’art comme médium d’expression politique. Deuxièmement, c’est un projet qui, au travers de réflexions artistiques multiples, questionne la place et la confluence du savoir ainsi que de l’économie dans la société au sens large. Pour ce projet, onze artistes internationaux travaillant avec des installations sonores comme principale médium à leur expression qui seront, du point de vue de la recherche artistique, invités à réfléchir et à se positionner au sein de ces « sociétés de la connaissance ».
Comme nous nous trouvons au milieu d’une crise économique, conséquence d’une avide envie de richesse, résultat de l’avarice plutôt que du bon sens ; comme nous sommes à une ère où la distribution des richesses et de l’intelligence, autant que leur relation l’un à l’autre semble être le nœud des négociations de notre société contemporaine ; comme nous sommes témoin de la lente domination du pouvoir économique par les pays BRIC, If You’re So Smart, Why Ain’t You Rich ? vient adroitement se poser en tant que point de départ pour délibérer sur la pondération du savoir et de l’économie, les tendances à l’égard des « sociétés de la connaissance » (Wissensgesellschaft) et le prix que certains doivent payer pour obtenir, maintenir, et répandre ces « sociétés de la connaissance ».
Il est important de mentionner ici que la connaissance placé dans ce contexte n’est pas limité à la « monoculture du savoir scientifique » occidentale mais plutôt à une « écologie des savoirs », décrit par Boaventura de Sousa Santos dans l’introduction de Another Knowledge is Possible, qu’il définit comme « la promotion de dialogues non-relativistes parmi les savoirs, qui garantissent ”l’égalité des opportunités” pour des types différents de savoir engagés dans de bien plus large débats épistémologiques… », i.e. un héritage et une diversité épistémologique.
Comme Daniel Bell le postule dans son ouvrage fondateur de 1973, The Coming of Post-Industrial Society ; A Venture in Social Forecasting, le savoir théorique est la plus importante ressource de la société post-industrielle, contrairement aux matières premières, au capital ou encore à la main d’oeuvre qui sont les piliers de la société industrielle. Par conséquent, l’accroissement de l’information et du flux de travail à l’ère internet globalisée, où l’économie de service joue un rôle central, le savoir individuel et collectif ainsi que leur organisation semblent constitutifs et fondamentaux du développement économique et social. À l’unisson avec la perspective épistémologique, où la nature, les méthodes, les limitations et validités du savoir sont analysées, le projet If You’re So Smart, Why Ain’t You Rich ? utilise le format de l’exposition comme une plate-forme pour réfléchir sur le quoi, comment et qui du savoir compris en lien avec les systèmes économiques des « sociétés de la connaissance ».
If You’re So Smart, Why Ain’t You Rich ? sera aussi une investigation sur la matérialité objective du son et des expériences sonores qui vont bien plus loin que la transcription dans la matérialité du langage. L’exposition explorera aussi comment les sons deviennent tactile, palpable et textuel dans notre société, dans la politique et les sciences économiques et plus spécifiquement dans le cadre des arts. La question qui surgit à ce moment critique est de savoir comment cette matérialité du son peut être perçu comme une chose matérielle, en tant qu’élément moteur pour la production du savoir, tout comme les objets épistémiques avec lesquels ils partagent les même vertus d’opacité, de surplus et de transcendance. Les mécanismes complexes de la production du savoir et sa propagation furent analysés par Paul Rabinow dans Anthropologie der Vernunft. Studien zu Wissenschaft und Lebensführung considérant le fonctionnement du savoir comme un assemblage par lequel « émerge de nombreuses petites décisions ; décisions, qui certainement, sont toutes conditionnées, mais pas complètement pré-déterminées », et ainsi catalysant le développement de nouvelles formes et existences. C’est exactement ce type d’assemblages qui est à l’origine ou en tout cas qui catalyse le développement des technologies de l’information et de la communication, qui ont refaçonné de manière décisive non seulement l’économie mondiale mais aussi le développement social.
La problématique en jeu pour ce projet d’exposition est de comprendre et d’interpréter la création, la dissémination, le positionnement et la mise en pratique du savoir au sens large dans l’activité économique, réfléchissant ainsi la compétitivité entre le savoir et l’économie au travers du prisme de l’art. If You’re So Smart, Why Ain’t You Rich ? se voudra ainsi une plate-forme artistique constituée d’installations sonores qui évoquera Julius Eastman mais aussi apportera une réflexion sur la valeur du savoir dans le contexte de la propriété intellectuelle et physique.
Artistes : Gilles Aubry (CH) & Zouheir Atbane (MA), Younes Baba Ali (MA), Tal Isaac Hadad (FR), Anne Duk Hee Jordan (DE), Brandon LaBelle (US), Marco Montiel-Soto (VEN), Emeka Ogboh (NG), Lukas Truniger (CH) & Ali Tnani (TN) , Paolo Bottarelli (IT) et Evgenija Wassilew (FR/DE)
Commissaires d’expositions : Bonaventure Soh Bejeng Ndikung (CM), Pauline Doutreluingne (BE)
Commissaires adjoints : Gauthier Lesturgie (FR), Anneli von Klitzing (DE)
If You Are So Smart, Why Ain’t You Rich? est le premier projet collaboratif satellite de GIVING CONTOURS TO SHADOWS, un projet de Savvy Contemporary et N.B.K. , qui réfléchit à des trajectoires alternatives de narrations historiques – de pratiques d’incarnation à la pré-écriture de l’Histoire. C’est bien à cette fin que If You Are So Smart, Why Ain’t You Rich ? se concentre sur le son comme médium à des productions et transmissions épistémiques, dans un effort pour situer une histoire sonique du présent, vu au travers le prisme de l’engagement artistique.
If You Are So Smart, Why Ain’t You Rich? est financé par Goethe Institute Rabat, Goethe Institute Nigeria, Pro Helvetia, the Flemish Authorities, Berliner Senat, Wallonie-Bruxelles International et des crowdfunders.
Giving Contours To Shadows est supporté par TURN Fund of the German Federal Cultural Foundation et Ernst Schering Fondation.